Texte du Professeur Raymond Limet
Samedi 27 novembre 2010 16:51
Liège
Les AAA
Pour une chirurgie basée sur l'évidence
Des patients meurent de rupture d'anévrysme de l'aorte abdominale ; or, depuis soixante ans, nous disposons d'une chirurgie applicable aux anévrysmes. Dès lors, on n'a cessé de prôner la nécessité d'opérer les AAA. Cette attitude est-elle justifiée par les résultats ?
En matière de chirurgie du cancer rectal, il est relativement facile d'apprécier les effets de la chirurgie sur la mortalité du cancer du rectum, puisque la survie naturelle des cancers non opérés est bien connue et relativement stable. Par contre, quelle est l'histoire naturelle de l'anévrysme de l'aorte abdominale ? La connaître serait essentiel pour avoir si la mortalité et la morbidité de la chirurgie prophylactique des AAA sont largement justifiées par l'économie de morts par rupture qui seraient survenues sans cette chirurgie prophylactique. Deuxième question, encore trop peu souvent posée : le traitement endovasculaire, sans doute, mais même le traitement ouvert classique, nous assurent-ils vraiment de toute survenue ultérieure de rupture ? Seule une réponse claire à ces deux questions permettra de dire que le traitement des AAA est basé sur l'évidence.
A. L'histoire naturelle des AAA non opérés
L'histoire naturelle des AAA, telle qu'elle est décrite dans les premiers travaux, notamment ceux de SZILAGYI, est abominablement mauvaise, parce que les seuls cas diagnostiqués l'étaient du fait des dimensions importantes de l' anévrysme. Quand on tente d'apprécier par des séries cliniques quel est le taux de mortalité des anévrysmes non opérés, détectés par des méthodes modernes, on obtient des chiffres moins effrayants que ceux produits par SZILAGYI, mais souvent biaisés en raison du type de sélection. Signalons par exemple l'étude de NEVITT, parue dans le New England Journal of Medicine il y a 12 ans, qui donne de l'histoire naturelle des petits anévrysmes de l'aorte abdominale une vision bien optimiste.
Quel que soit l'intérêt dérivé des études cliniques, il apparaît que, a priori, la meilleure façon d'obtenir la vérité est d'étudier des séries autopsiques provenant de pays où la pratique de l'examen post-mortem est quasiment de règle, tels les pays scandinaves. Précisément, l'étude des autopsies réalisées quasi systématiquement dans la ville de Malmö, en Suède, de 1958 à 1986, montre une prévalence masculine, bien sûr et une prépondérance croissante dans les groupes d'âges de 69 ans et au-delà ; le maximum se trouve dans la tranche 80-89. Variation en fonction du sexe, variation en fonction de l'âge, mais aussi variation en fonction de l'époque. En effet, sur cette trentaine d'années, il apparaît une augmentation du nombre d'anévrysmes autopsiés par an. Le nombre d'anévrysmes est multiplié par trois entre 1958 et 1986. Enfin et surtout, on constate que le nombre de ruptures d'anévrysmes de l'aorte constatés à l'autopsie, plus celles qui ont été vérifiées par les protocoles opératoires et les dossiers médicaux du seul hôpital de la ville, a été de 5,6 par an et par 100.000 habitants, soit 8,4 pour les hommes et 3,0 pour les femmes. L'incidence est la plus haute entre 80 et 89 ans chez l'homme, et au-delà de 90 ans chez la femme. Analysons un peu plus cette série de ruptures: de 215 individus répertoriés comme ayant connu une rupture d'anévrysme, 104 sont arrivés vivants à l'hôpital, 61 ont été traités chirurgicalement et la mortalité opératoire a été de 57%. Autrement dit, nous avons une mortalité totale de 84% en ce qui concerne les ruptures.
Dans la même ville, 14% du total des anévrysmes autopsiés montrent des signes de rupture. En d'autres termes, un anévrysme sur sept seulement a entraîné la mort. Bref, il faut opérer sept anévrysmes de l'aorte abdominale pour en sauver un. Toute mortalité opératoire immédiate ou tardive, toute morbidité grave, diminue notre rapport d'efficacité et de bénéfices. Toutefois, cette approche est simpliste, car quelque chose manque dans cette très belle étude suédoise, c'est la notion du diamètre des anévrysmes. Si l'on a pris comme critère de définition de l'anévrysme la présence d'un diamètre maximal supérieur à 3,5 cm, il se peut que les petits anévrysmes soient surreprésentés dans cette série autopsique, ce qui contribuerait à diluer le pourcentage de rupture. Par ailleurs, ce n'est pas tout à fait 100% de la population, mais 85% des patients décédés qui ont été autopsiés, ce qui, dans un autre sens, contribue à augmenter dans la masse autopsiée, le groupe des morts subites ou inexpliquées.
À cette série autopsique quasi systématique de Malmö, comparons celle, américaine, de DARLING. Il a mis en évidence, dans un grand nombre d'autopsies réalisées au Mass General de Boston, la taille de l'anévrysme et l'incidence de la rupture évidente lors de l'autopsie. C'est ainsi que l'on peut voir que les petits anévrysmes, entre 4 et 5 cm, sont rompus pour 10% d'entre eux, que de 5 à 9 cm, le taux de rupture est de 25% à peu près, pour s'envoler au-delà 7 cm de diamètre jusqu'à 40% et plus de ruptures. Ici aussi, deux réserves sont nécessaires : la première, c'est qu'il ne s'agit pas d'une région où l'on fait des autopsies quasi systématiques. Ceci contribue, évidemment, à augmenter la part des ruptures anévrysmales dans le total des autopsies. La deuxième remarque est d'ordre méthodologique. Le diamètre aortique mesuré sur un cadavre est nécessairement plus petit que le diamètre qui aurait été mesuré de son vivant, puisque nous n'avons plus ici le facteur de dilatation aortique résultant de l'existence d'une pression artérielle.
Il y a dix ans, le Docteur SAKALIHASAN a fait une revue rétrospective de l'ensemble des anévrysmes non opérés immédiatement. Il a constaté des chiffres d'augmentation du diamètre et de l'incidence de rupture, dont je rappelle simplement les seconds. L'histoire naturelle des anévrysmes en ce qui concerne la rupture est donc une fonction du diamètre tel qu'il est connu au moment du diagnostic, mais la rapidité de la croissance est une chose individuelle : on peut le caractériser lorsque l'on dispose de deux ou de plusieurs mesures successives. Le caractère rétrospectif de notre revue fait qu'un plus grand nombre de ces anévrysmes ont évolué jusqu'aux conditions de rupture, soit par refus du patient de subir une opération prophylactique, soit par négligence du médecin référant.
Quelle est, de l'autre côté, la mortalité de la mise à plat élective de l'anévrysme de l'aorte abdominale ? Les chiffres de mortalité varient suivant plusieurs facteurs, dont le premier est de nature historique. Il est clair qu'il y a eu une amélioration constante de la chirurgie élective de l'anévrysme, alors que les résultats de la chirurgie dans des conditions de rupture sont restés aussi médiocres. Quand on compare les résultats d'un même hôpital par tranches de dix ans, on voit apparaître une différence marquée entre les années soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix. Des différences existent aussi bien entre les hôpitaux eux-mêmes, et enfin, il est évident qu'un groupe chirurgical dont les résultats ne sont pas excellents n'a aucune raison de se précipiter pour publier ceux ci. Par conséquent, la littérature médicale est évidemment biaisée dans le sens de bons résultats opératoires.
Pour pallier cette difficulté, il est intéressant de parler d'une étude américaine réalisée par l'administration fédérale ; elle compare l'évolution de la mortalité de la chirurgie de l'anévrysme dans un état américain, telle qu'établie à partir des documents légaux conservés dans chaque hôpital. On fait ainsi une étude systématique qui n'oublie aucun centre. La mortalité qui en ressort n'est pas négligeable du tout. Cette étude montre que les chiffres que nous citons habituellement, et de bonne foi, sont en fait des chiffres embellis. Par ailleurs, si un jour un même travail administratif était fait pour définir la mortalité des techniques endovasculaires, nous verrions aussi que les chiffres publiés à ce moment-là apparaîtraient embellis par rapport à ceux que l'on nous donne actuellement pour acquis. Quoi qu'il en soit, si nous admettons qu'au fil du temps, la plupart des centres qui pratiquent la chirurgie de l'anévrysme obtiennent une mortalité autour, disons de 2%, il ne faut pas opposer ces 2% aux 14% de mortalité par rupture spontanée que nous avons rencontrés dans les séries suédoises sans y mettre des commentaires.
1) Les 2% de mortalité opératoire concernent l'ensemble des porteurs d'anévrysmes, c'est-à-dire également les 86% d'entre eux qui ne seraient pas morts de rupture.
2) N'oublions pas non plus que la mortalité par rupture est la plus importante dans le groupe d'âge de 80 à 89 ans, de sorte que si l'on exprime la mortalité, non pas en termes individuels de vie interrompue, mais en termes d'années de vie perdues, nous voyons que chaque mort périopératoire dans la chirurgie prophylactique de l'anévrysme représente une quantité d'années de vie perdues plus importante que celle qui résulte de la mort plus tardive, par rupture à 86 ans, par exemple.
3) À l'opposé, les anévrysmes recensés à l'autopsie avaient (pour combien d'entre eux ?) des dimensions entre 3 et 4 cm de diamètre, qui les auraient disqualifiés pour une chirurgie prophylactique selon les critères de l'ensemble de la communauté chirurgicale ; la comparaison est plus favorable si nous la faisons avec les 25% de la série de DARLING concernant les anévrysmes de 4 à 7 cm ; elle serait encore beaucoup plus favorable si nous la faisons avec l'incidence de rupture observée chez des patients dits à haut risque de rupture. Ceci nous amène, inévitablement, à parler de facteurs qui affectent l'histoire naturelle de la maladie, en d'autres termes, quels sont les éléments annonciateurs d'un plus grand danger de rupture chez le porteur d'anévrysme ?
N'y revenons pas. Si l'on convient que les gros anévrysmes doivent être opérés, qu'en est-il des petits anévrysmes, et qu'appelons-nous, d'ailleurs, un petit anévrysme ?
Dans l'étude britannique bien connue, les petits anévrysmes ont une taille maximale comprise entre 4 et 5,5 cm. En assignant les patients de façon randomisée soit à la chirurgie immédiate, soit à une chirurgie différée quand le diamètre devient supérieur à 5,5 cm, on montre finalement que l'on obtient des courbes de survie similaires dans le groupe de patients opérés d'emblée et dans le groupe de patients opérés au terme d'une expectative armée. Au bout de dix ans, il apparaît quand même une tendance positive pour le groupe qui a été opéré d'emblée. Janet POWELL attribue cette meilleure survie tardive au fait que les patients opérés ont été d'emblée conscients de la nécessité de cesser tout tabagisme, et que la continuation du tabagisme dans l'autre groupe a d'une part contribué au développement plus rapide de l'anévrysme, mais aussi au développement de toutes les comorbidités cardio-vasculaires fatales. L'étude des Vétérans, publiée le mois dernier dans le New England Journal of Medicine, aboutit aux mêmes conclusions, alors pourtant que la mortalité opératoire de 5,8 attestée par les chirurgiens britanniques n'est que de 2,7 dans l'étude américaine. Les conclusions identiques de ces deux études (où la mortalité opératoire varie du simple au double) sont que moyennant une surveillance sans faille, le fait d'attendre une taille maximale de 5,5 cm pour opérer les anévrysmes n'entraîne pas un excès de mortalité durant la phase de surveillance, alors que le bénéfice économique et humain est évident, puisqu'on épargne des frais et des souffrances inutiles à ceux qui, dans l'intervalle, sont morts de causes non liées à une rupture de l'anévrysme de l'aorte abdominale.
La notion de taille maximale est donc cruciale, et je veux bien adhérer aux recommandations engendrées par ces deux études, d'un point de vue statistique. Il reste que sur le plan individuel, il est pénible de devoir expliquer à une famille dont le père vient de mourir de rupture pourquoi, le diagnostic étant connu, on n'a pas opéré plus tôt.
Donc, si la taille actuelle de l'anévrysme ou l'accélération de croissance représente une règle pratique pour déterminer le moment de l'indication opératoire, ceci ne met pas à l'abri certains de nos patients qui font exception à la règle et subissent une rupture alors que le plus grand diamètre est en dessous de 5 cm. Il faut donc moduler les indications opératoires liées à la taille en fonction d'autres variables biologiques, par exemple la continuation du tabagisme et l'hypertension.
B. Les AAA à risque de rupture
Par-dessus tout, une histoire familiale d'anévrysmes de l'aorte abdominale est un facteur péjoratif pour l'évolution des AAA. Il y a quelques années, nous avons isolé, dans notre groupe d'anévrysmes opérés des patients dans l'ascendance, la fratrie ou la descendance desquels il y avait d'autres exemples d'anévrysmes de l'aorte abdominale. Nous avons ainsi constaté que dans cette série locale, donc très modeste, le diagnostic d'anévrysme de l'aorte abdominale était fait dix ans plus tôt chez ces anévrysmes familiaux, et que le diagnostic était fait, malheureusement, dans des conditions de rupture dans plus d'un tiers des cas. C'est dire que ces anévrysmes de caractère familial sont plus souvent et plus tôt sujets à la rupture et, qu'en conséquence, l'indication opératoire doit être plus précoce.
Si les travaux des 20 dernières années ont contribué à démontrer que la pathogénie de I'AAA était différente de celle résultant simplement de l'athérosclérose, il reste qu'il y a des liens entre l'athérosclérose et le développement des AAA. Cette notion d'une relation complexe entre formation des anévrysmes et athérosclérose est intéressante, parce que l'existence de facteurs de risque pour l'athérosclérose ou des complications avérées, déjà présentes, de l'athérosclérose, peut être un indicateur de l'incidence et de la vitesse de croissance des anévrysmes.
Revenons donc à notre population de Malmö. BERQVIST se propose d'examiner systématiquement par ultrasonographie quatre groupes particuliers de patients, de façon à déterminer la présence d'un anévrysme. Ainsi qu'on le voit dans le tableau, des patients suivis depuis cinq ans pour claudication intermittente sont soumis, avec un taux de participation de 84%, à une ultrasonographie qui met en évidence 16% d'anévrysmes chez les sujets masculins. De même, les patients opérés précédemment de thromboendartériectomie carotidienne sont examinés, avec un taux de participation de 88% et une incidence reconnue de 12% chez l'homme et de 9% chez la femme. Dans un troisième groupe constitué par la fratrie de patients opérés d'anévrysme, avec une participation de 85%, le taux d'anévrysmes diagnostiqué est de 29% pour les hommes et de 6% pour les femmes. Enfin, dans la descendance de patients opérés d'AAA, la participation est plus réduite, de 69%, mais le diagnostic d'AAA est posé chez 21% des participants masculins et de 4% chez les femmes. Ainsi, l'appréciation des facteurs de risque pour l'athérosclérose est-elle déjà un premier moyen d'estimer le danger représenté par un anévrysme déterminé.
Outre l'athérosclérose, il faut tenir compte de ce que les travaux fondamentaux publiés durant ces vingt dernières années nous ont apporté : en simplifiant, disons que sur un terrain génétiquement favorable, il y a une activation de protéases qui agissent d'abord pour détruire l'élastine, ce qui provoque la création d'un anévrysme et sa croissance, et ensuite pour dégrader le collagène, ce qui prélude à la rupture. La rupture est donc précédée d'une augmentation du métabolisme du collagène. Si la concentration globale du collagène, en effet, n'est pas modifiée en fonction de la taille de l'anévrysme, les analyses montrent qu'il y a une dégradation et une néosynthèse simultanée du collagène, mais d'un collagène dégradé, qui constitue la majorité du collagène présent dans la paroi anévrysmale rompue. Ceci explique l'intense activité métabolique qui précède la rupture, puisque l'adventice et la média externe synthétisent ces grandes quantités de collagène dégradé.
Nous avons pu, de façon non randomisée, réaliser une étude pilote avec la tomographie à émission de positron (PET-scan) chez une vingtaine de porteurs d ' un anévrysme de l'aorte abdominale. Nous avons observé chez certains d'entre eux une activité métabolique très significativement élevée, authentifiée par l'existence d'une hyperfixation au niveau du PET-scan. La moitié de ces PET-scans positifs concernent des patients entrés dans le service avec un anévrysme douloureux ou qui développeront peu de temps après une rupture. Les résultats ne sont pas constants, ils ne sont pas répétitifs, mais ils indiquent une voie possible de mise en évidence de la dangerosité de certains anévrysmes de l'aorte abdominale. Cette approche, toutefois, n'est pas encore validée, loin s'en faut.
C. Les marqueurs biologiques du danger de rupture
Existe-t-il des facteurs qui peuvent inhiber les protéases ou, au contraire, les potentialiser ? Est-ce que nous pouvons les doser dans le sérum, est-il possible de trouver des marqueurs biologiques dont la détermination permettrait d'isoler un groupe d'anévrysmes en voie d'expansion, en menace de rupture ?
1° Ce marqueur biologique pourrait être la MMP-9 plasmatique. Nous savons qu'elle est directement impliquée dans la transformation protéolytique de la matrice pariétale aortique. Cette MMP-9 a été déterminée dans le sérum de trois groupes de patients : patients atteints d'un anévrysme de l'aorte abdominale, patients présentant une surcharge de l'aorte abdominale, avec éventuellement claudication, et patients dont l'aorte est normale. Nous voyons que les taux de MMP-9 sont très significativement élevés dans le groupe anévrysmal par rapport au groupe qui présente un syndrome de Leriche.
2° La signification de ce dosage de taux sériques plus élevé de MMP-9 est corroborée par les études effectuées sur des prélèvements de parois obtenus lors de la chirurgie. On voit que la production de nanogrammes de MMP-9 par milligramme de tissu est très importante dans les parois anévrysmales, beaucoup plus importante que dans les parois qui montrent simplement des signes de surcharge.
3° D'autres groupes se sont intéressés à d'autres marqueurs, en l'occurrence, les dérivés peptidiques de l'élastine présents dans le sérum (SEP) et ils ont pu mettre en évidence une relation entre la vitesse de croissance d'anévrysmes asymptomatiques et d'anévrysmes rompus, corrélés avec le taux de SEP. Bien sûr, le diamètre initial n'était pas le même dans cette étude, mais dans cette étude, la croissance annuelle était corrélée avec des différences dans la valeur de SEP, différences peu importantes en valeur absolue, certes, mais significatives.
4° D'autres publications, aussi, se sont attachées à déterminer le taux d'a1- antitrypsines dans le sérum, parce que l'a1-antitrypsine est le plus abondant des inhibiteurs plasmatiques de protéases. Son déficit prédispose à l'emphysème par destruction des fibres élastiques des bronches et certains reconnaissent un lien entre le développement d'un anévrysme et la présence d'une maladie broncho-pulmonaire chronique obstructive. Malheureusement, il faut bien reconnaître que les résultats obtenus à partir de dosages d'α1-antitrypsines sont extrêmement divergents et, à l'heure actuelle, il nous est impossible d'avoir une opinion quelconque sur l'importance de la détermination de ce marqueur dans le pronostic des anévrysmes de l'aorte abdominale.
D. Mortalité tardive après intervention
Depuis longtemps (DeBAKEY), on sait que la survie des anévrysmes opérés n'est pas équivalente à celle du groupe de patients de même âge et de même sexe n'ayant pas présenté d'anévrysme. Cette surmortalité tardive des anévrysmes opérés a été et reste attribuée aux conséquences fatales de l'athérosclérose, et ceci est probablement vrai, mais pouvons-nous nous poser la question de savoir si la mise à plat de l'anévrysme met tout à fait à l'abri d'une rupture ultérieure ? de connaître précisément l'incidence des complications iatrogènes ultérieures, c'est-à-dire : rupture d'un anévrysme d'anastomose aortique et infection de la prothèse, avec fistule aorte-digestive?
En ce qui concerne la chirurgie conventionnelle, on sait que le patient opéré reste menacé, même après une opération efficace. Si le développement d'un anévrysme au dessus de la prothèse par dilatation de l'aorte infra-rénale et supra-rénale est toujours possible, ainsi que le développement d'un véritable anévrysme thoraco-abdominal, l'incidence de cette transformation reste, dans les limites de nos connaissances, relativement peu élevée et liée au caractère extensif de l'atteinte aortique, sans aucune responsabilité iatrogène. Cette transformation anévrysmale ne requiert pas toujours une correction chirurgicale. Par contre, deux complications peuvent neutraliser l'effet bénéfique de la mise à plat de l'anévrysme, ce sont d'une part le faux anévrysme de suture, qui lui est un phénomène iatrogène non lié à l'évolution de la maladie aortique, et d'autre part, le développement d'une infection de prothèse. L'incidence des infections de prothèses est estimée à 1% par an. La mortalité, on le sait, en est très élevée, particulièrement en cas de développement d'une fistule aorte-entérique. La possibilité d'une complication létale par infection par infection ou transformation pseudo anévrysmale de l'anastomose supérieure doit entrer dans le calcul des bénéfices et des risques avant de décider d'opérer un anévrysme de petite taille.
En ce qui concerne le traitement endovasculaire, les conclusions les plus récentes d'EUROSTAR, présentées à Londres, il y a un mois, par Peter Harris, apportent un bémol inattendu de la part des partisans de cette technique. Après quatre ans, le taux de réinterventions diverses est de 12% dans la population des endoprothèses, si bien que la mortalité-morbidité associée à ce phénomène tardif doit également être soustraite du bénéfice théorique apporté par la neutralisation de l'anévrysme. Dans le cadre de présentations "Pro et Contra", Peter Harris proposait donc de réserver ce traitement endoprothétique pour les patients qui présentent des risques majeurs pour la chirurgie, mais dont l'espérance de vie naturelle est quand même supérieure à un an.
Revenons sur notre calcul simpliste que j'avais développé au début. Il faut opérer 100 anévrysmes de l'aorte abdominale pour prévenir 14 morts par rupture. En fait, puisque 14% de ces anévrysmes rompus sont opérés efficacement, ce n'est pas 14 ruptures, mais 12 ruptures que nous sauvons par une chirurgie prophylactique. Nous devons balancer cette prévention de la rupture chez 12% avec la mortalité opératoire (variable de deux à six) et avec cette mortalité tardive, réelle, mais bien difficile à apprécier, et en tout cas, dépendante du temps.
Au terme de cette revue rapide sur les risques et les bénéfices d'une intervention et d'une abstention chirurgicale sur les AAA, il me paraît que l'évidence est en faveur de l'attitude chirurgicale, au moins pour les techniques conventionnelles ; pour les techniques endovasculaires, du temps est encore nécessaire. Cette évidence est fragile et reste tout le temps menacée. Que la mortalité opératoire soit un peu plus élevée dans un groupe de patients qui, par la taille et les caractéristiques biologiques, n'a pas une histoire naturelle aussi sombre, et nous verrons les conclusions se renverser, et devrons constater qu'une chirurgie de l'anévrysme, ouverte ou endovasculaire, réalisée de façon imparfaite sur une indication posée à la hâte, s'est révélée être le mauvais choix.
La chirurgie de l'anévrysme est-elle basée sur l'évidence ? Je n'ai pas pu apporter de réponse péremptoire, mais j'ai voulu simplement indiquer l'importance du problème et les directions dans lesquelles nous devons travailler pour pouvoir dire oui, la chirurgie faite dans de telles conditions et sur des patients présentant de telles caractéristiques s'impose à l'évidence comme un traitement de choix.
Quelles sont les conditions qui nous permettront de justifier notre choix ?
1. Une exigence quant à l'optimisation du risque opératoire,
2. Une exigence dans la sélection des indications opératoires sur les caractéristiques de taille et de croissance,
3. La nécessité de moduler nos indications morphométriques définies en 2.
en fonction :
• de l'importance des facteurs de risque pour l'athérosclérose (tabac)
• du caractère familial
• (hypothèse à vérifier) de l'utilisation de marqueurs sériques appropriés.
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